Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/132

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bien, sans qu’on s’en aperçût, mettre un moment ta canne sous ma baïonnette. Mes bras s’en trouveraient mieux, et ta canne ne s’en trouverait pas plus mal.

— Ah ! Mathurin, mon ami, me dit-il, te voilà bien puni d’avoir quitté Montreuil ; tu n’as plus les conseils et les lectures du bon curé, et tu vas oublier tout à fait cette musique que tu aimais tant, et celle de la parade ne la vaudra certainement pas.

— C’est égal, dis-je, en élevant le bout du canon de mon fusil, et le dégageant de sa canne, par orgueil, c’est égal, on a son idée.

— Tu ne cultiveras plus les espaliers et les belles pêches de Montreuil avec ta Pierrette, qui est bien aussi fraîche qu’elles, et dont la lèvre porte aussi comme elles un petit duvet.

— C’est égal, dis-je encore, j’ai mon idée.

— Tu passeras bien longtemps à genoux, à tirer sur rien, avec une pierre de bois, avant d’être seulement caporal.

— C’est égal, dis-je encore, si j’avance lentement, toujours est-il vrai que j’avancerai ; tout vient à point à qui sait attendre, comme on dit, et quand je serai sergent je serai quelque chose, et j’épouserai Pierrette. Un sergent c’est un seigneur, et à tout seigneur tout honneur. »

Michel soupira.

— « Ah ! Mathurin ! Mathurin ! me dit-