Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/147

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la fin de tout ; la Reine le sait bien. Vous avez triplé vos places, j’espère ?

— Mieux que cela, monsieur Grétry, elles sont à un louis ; je ne pouvais pas manquer de respect à la cour au point de les mettre à moins. »

En ce moment même tout retentit d’un grand bruit de chevaux et de grands cris de joie, et la Reine entra si vite, que j’eus à peine le temps de présenter les armes, ainsi que la sentinelle placée devant moi. De beaux seigneurs parfumés la suivaient, et une jeune femme, que je reconnus pour celle qui l’accompagnait à Montreuil.

Le spectacle commença tout de suite. Le Kain et cinq autres acteurs de la Comédie-Française étaient venus jouer la tragédie d’ Irène, et je m’aperçus que cette tragédie allait toujours son train, parce que la Reine parlait et riait tout le temps qu’elle dura. On n’applaudissait pas, par respect pour elle, comme c’est l’usage encore, je crois, à la cour. Mais quand vint l’opéra-comique, elle ne dit plus rien, et personne ne souffla dans sa loge.

Tout d’un coup j’entendis une grande voix de femme qui s’élevait de la scène, et qui me remua les entrailles ; je tremblai, et je fus forcé de m’appuyer sur mon fusil. Il n’y avait qu’une voix comme celle-là dans le monde, une voix venant du cœur, et résonnant dans la poitrine comme une harpe, une voix de passion.