Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/150

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salle, ayant les mains déchaînées, ne laissa plus passer un mot de

Rose sans l’applaudir à tout rompre. La charmante Reine était ravie.

— « C’est ici, dit-elle à M. de Biron, qu’il y a trois mille amoureux ; mais ils le sont de Rose et non de moi, cette fois. »

La pièce finissait et les femmes en étaient à jeter leurs bouquets sur Rose.

— « Et le véritable amoureux, où est-il donc ? » dit la Reine à M. le duc de Lauzun. Il sortit de la loge et fit signe à mon capitaine, qui rôdait dans le corridor.

Le tremblement me reprit ; je sentais qu’il allait m’arriver quelque chose, sans oser le prévoir ou le comprendre, ou seulement y penser.

Mon capitaine salua profondément et parla bas à M. de Lauzun. La Reine me regarda ; je m’appuyai sur le mur pour ne pas tomber. On montait l’escalier, et je vis Michel Sedaine suivi de Grétry et du directeur important et sot ; ils conduisaient Pierrette, la vraie Pierrette, ma Pierrette à moi, ma sœur, ma femme, ma Pierrette de Montreuil.

Le directeur cria de loin : « Voici une belle soirée de dix-huit mille francs ! »

La Reine se retourna, et, parlant hors de sa loge d’un air tout à la fois plein de franche gaîté et d’une bienfaisante finesse, elle prit la main de Pierrette :