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SOUVENIRS

assez repentant pour intéresser toute une nation à ses péchés. Jusque-là on ne peut guère prétendre qu’à lui être utile par ses idées ou par ses actions.

Vers la fin de l’Empire, je fus un lycéen distrait. La guerre était debout dans le lycée, le tambour étouffait à mes oreilles la voix des maîtres, et la voix mystérieuse des livres ne nous parlait qu’un langage froid et pédantesque. Les logarithmes et les tropes n’étaient à nos yeux que des degrés pour monter à l’étoile de la Légion d’honneur, la plus belle étoile des cieux pour des enfants.

Nulle méditation ne pouvait enchaîner longtemps des têtes étourdies sans cesse par les canons et les cloches des Te Deum ! Lorsqu’un de nos frères, sorti depuis quelques mois du collége, reparaissait en uniforme de housard et le bras en écharpe, nous rougissions de nos livres et nous les jetions à la tête des maîtres. Les maîtres mêmes ne cessaient de nous lire les bulletins de la Grande Armée, et nos cris de: Vive l’Empereur ! interrompaient Tacite et Platon. Nos précepteurs ressemblaient à des hérauts d’armes, nos salles d’études à des casernes, nos récréations à des manœuvres, et nos examens à des revues.

Il me prit alors plus que jamais un amour vraiment désordonné de la gloire des armes ; passion d’autant plus malheureuse que c’était le temps