Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/178

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Tous les réverbères des rues étaient brisés. Quelques groupes d’ouvriers s’assemblaient encore près des arbres, écoutant un orateur mystérieux qui leur glissait des paroles secrètes à voix basse. Puis ils se séparaient en courant, et se jetaient dans des rues étroites et noires. Ils se collaient contre des petites portes d’allées qui s’ouvraient comme des trappes et se refermaient sur eux. Alors rien ne remuait plus, et la ville semblait n’avoir que des habitants morts et des maisons pestiférées.

On rencontrait, de distance en distance, une masse sombre, inerte, que l’on ne reconnaissait qu’en la touchant : c’était un bataillon de la Garde, debout, sans mouvement, sans voix. Plus loin, une batterie d’artillerie surmontée de ses mèches allumées, comme de deux étoiles.

On passait impunément devant ces corps imposants et sombres, on tournait autour d’eux, on s’en allait, on revenait sans en recevoir une question, une injure, un mot. Ils étaient inoffensifs, sans colère, sans haine ; ils étaient résignés et ils attendaient.

Comme j’approchais de l’un des bataillons les plus nombreux, un officier s’avança vers moi, avec une extrême politesse, et me demanda si les flammes que l’on voyait au loin éclairer la porte Saint-Denis ne venaient point d’un incendie ; il allait se porter en avant avec sa compagnie pour