Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/180

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à la main. Il n’y avait, du reste, nulle affectation dans cette habitude : ses manières étaient trop simples et sérieuses. Cependant on sentait que cela lui tenait au cœur. Il était fort honoré dans la Garde. Sans ambition et ne voulant être que ce qu’il était, capitaine de grenadiers, il lisait toujours, ne parlait que le moins possible et par monosyllabes. — Très grand, très pâle et de visage mélancolique, il avait sur le front, entre les sourcils, une petite cicatrice assez profonde, qui souvent, de bleuâtre qu’elle était, devenait noire, et quelquefois donnait un air farouche à son visage habituellement froid et paisible.

Les soldats l’avaient en grande amitié ; et surtout dans la campagne d’Espagne on avait remarqué la joie avec laquelle ils partaient quand les détachements étaient commandés par la Canne-de-Jonc. C’était bien véritablement la Canne-de-Jonc qui les commandait ; car le capitaine Renaud ne mettait jamais l’épée à la main, même lorsque, à la tête des tirailleurs, il approchait assez l’ennemi pour courir le hasard de se prendre corps à corps avec lui.

Ce n’était pas seulement un homme expérimenté dans la guerre ; il avait encore une connaissance si vraie des plus grandes affaires politiques de l’Europe sous l’Empire, que l’on ne savait comment se l’expliquer, et tantôt on l’attribuait