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Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/183

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de l’exagération, et l’on dédaigne le langage d’un homme qui cherche à outrer ce qu’il sent ou à attendrir sur ce qu’il souffre. Je le savais, et je me préparais à quitter brusquement le capitaine Renaud, lorsqu’il me prit le bras et me retint.

— « Avez-vous vu ce matin la manœuvre des Suisses ? me dit-il ; c’était assez curieux. Ils ont fait le feu de chaussée en avançant avec une précision parfaite. Depuis que je sers, je n’en avais pas vu faire l’application : c’est une manœuvre de parade et d’Opéra ; mais, dans les rues d’une grande ville, elle peut avoir son prix, pourvu que les sections de droite et de gauche se forment vite en avant du peloton qui vient de faire feu. »

En même temps il continuait à tracer des lignes sur la terre avec le bout de sa canne ; ensuite il se leva lentement ; et comme il marchait le long du boulevard, avec l’intention de s’éloigner du groupe des officiers et des soldats, je le suivis, et il continua de me parler avec une sorte d’exaltation nerveuse et comme involontaire qui me captiva, et que je n’aurais jamais attendue de lui, qui était ce qu’on est convenu d’appeler un homme froid.

Il commença par une très simple demande en prenant un bouton de mon habit :

« Me pardonnerez-vous, me dit-il,