Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/188

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


CHAPITRE III

MALTE



Je ne suis rien, dit-il d’abord, et c’est à présent un bonheur pour moi que de penser cela ; mais si j’étais quelque chose, je pourrais dire comme Louis XIV : J’ai trop aimé la guerre. — Que voulez-vous ? Bonaparte m’avait grisé dès l’enfance comme les autres, et sa gloire me montait à la tête si violemment, que je n’avais plus de place dans le cerveau pour une autre idée. Mon père, vieil officier supérieur, toujours dans les camps, m’était tout à fait inconnu, quand un jour il lui prit fantaisie de me conduire en Égypte avec lui. J’avais douze ans, et je me souviens encore de ce temps comme si j’y étais, des sentiments de toute l’armée et de ceux qui prenaient déjà possession de mon âme. Deux esprits enflaient les voiles de nos vaisseaux, l’esprit de gloire et l’esprit de piraterie. Mon père n’écoutait pas plus le second que le vent de nord-ouest qui