Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/200

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Kléber n’avait pas fini de parler, et passait encore sa main dans ses grands cheveux blonds, que le petit Bonaparte était déjà debout, et, approchant son verre de son menton maigre et de sa grosse cravate, il dit d’une voix brève, claire et saccadée :

« Buvons à l’an trois cent de la République française. »

Kléber se mit à rire dans l’épaule de Menou, au point de lui faire verser son verre sur un vieil Aga, et Bonaparte les regarda tous deux de travers, en fronçant le sourcil.

Certainement, mon enfant, il avait raison ; parce que, en présence d’un général en chef, un général de division ne doit pas se tenir indécemment, fût-ce un gaillard comme Kléber ; mais eux, ils n’avaient pas tout à fait tort non plus, puisque Bonaparte, à l’heure qu’il est, s’appelle l’Empereur et que tu es son page.

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— En effet, dit le capitaine Renaud en reprenant la lettre de mes mains, je venais d’être nommé page de l’Empereur en 1804. — Ah ! la terrible année que celle-là ! de quels événements elle était chargée quand elle nous arriva, et comme je l’aurais considérée avec attention, si j’avais su alors considérer quelque chose ! Mais je n’avais pas d’yeux pour voir, pas d’oreilles pour entendre autre chose que les actions de