Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/206

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et la gloire le défendaient sur tous les points ; je tournais autour sans réussir à y rien surprendre, et ce porc-épic, toujours armé, se roulait devant moi, n’offrant de tous côtés que des pointes acérées. — Un jour pourtant, le hasard, notre maître à tous, les entr’ouvrit, et à travers ces piques et ces dards fit pénétrer une lumière d’un moment. — Un jour, ce fut peut-être le seul de sa vie, il rencontra plus fort que lui et recula un instant devant un ascendant plus grand que le sien. — J’en fus témoin, et me sentis vengé. — Voici comment cela m’arriva :

Nous étions à Fontainebleau. Le Pape venait d’arriver. L’Empereur l’avait attendu impatiemment pour le sacre, et l’avait reçu en voiture, montant de chaque côté, au même instant, avec une étiquette en apparence négligée, mais profondément calculée de manière à ne céder ni prendre le pas, ruse italienne. Il revenait au château : tout y était en rumeur ; j’avais laissé plusieurs officiers dans la chambre qui précédait celle de l’Empereur, et j’étais resté seul dans la sienne. — Je considérais une longue table qui portait, au lieu de marbre, des mosaïques romaines, et que surchargeait un amas énorme de placets. J’avais vu souvent Bonaparte rentrer et leur faire subir une étrange épreuve. Il ne les prenait ni par ordre, ni au hasard ; mais quand leur nombre l’irritait, il passait sa main sur la