Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/218

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dans le vrai, et que ce Protée, dompté par deux mots, se montrait lui-même.

— « Malheureuse vie ! » dit-il d’abord. — Puis il rêva, déchira le bord de son chapeau sans parler pendant une minute encore, et reprit, se parlant à lui seul, au réveil.

— « C’est vrai ! Tragédien ou Comédien. — Tout est rôle, tout est costume pour moi depuis longtemps et pour toujours. Quelle fatigue ! quelle petitesse ! Poser ! toujours poser ! de face pour ce parti, de profil pour celui-là, selon leur idée. Leur paraître ce qu’ils aiment que l’on soit, et deviner juste leurs rêves d’imbéciles. Les placer tous entre l’espérance et la crainte. Les éblouir par des dates et des bulletins, par des prestiges de distance et des prestiges de nom. Être leur maître à tous et ne savoir qu’en faire. Voilà tout, ma foi ! — Et après ce tout, s’ennuyer autant que je fais, c’est trop fort. — Car, en vérité, poursuivit-il en se croisant les jambes et en se couchant dans un fauteuil, je m’ennuie énormément. — Sitôt que je m’assieds, je crève d’ennui. — Je ne chasserais pas trois jours à Fontainebleau sans périr de langueur. — Moi, il faut que j’aille et que je fasse aller. Si je sais où, je veux être pendu, par exemple. Je vous parle à cœur ouvert. J’ai des plans pour la vie de quarante empereurs, j’en fais un tous les matins et un tous les soirs ; j’ai une imagination infatigable ; mais je n’aurais pas