Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/225

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désormais. Je vous l’ai dit, j’avais dix-huit ans alors, et je n’avais encore en moi qu’un instinct vague du Vrai, du Bon et du Beau, mais assez obstiné pour m’attacher sans cesse à cette recherche. C’est la seule chose que j’estime en moi.

Je jugeai qu’il était de mon devoir de me taire sur ce que j’avais vu ; mais j’eus lieu de croire que l’on s’était aperçu de ma disparition momentanée de la suite de l’Empereur, car voici ce qui m’arriva. Je ne remarquai dans les manières du maître aucun changement à mon égard. Seulement, je passai peu de jours près de lui, et l’étude attentive que j’avais voulu faire de son caractère, fut brusquement arrêtée. Je reçus un matin l’ordre de partir sur-le-champ pour le camp de Boulogne, et à mon arrivée, l’ordre de m’embarquer sur un des bateaux plats que l’on essayait en mer.

Je partis avec moins de peine que si l’on m’eût annoncé ce voyage avant la scène de Fontainebleau. Je respirai en m’éloignant de ce vieux château et de sa forêt, et à ce soulagement involontaire je sentis que mon Séidisme était mordu au cœur. Je fus attristé d’abord de cette première découverte, et je tremblai pour l’éblouissante illusion qui faisait pour moi un devoir de mon dévouement aveugle. Le grand égoïste s’était montré à nu devant moi ; mais à mesure que je m’éloignai de lui je commençai à le contempler dans ses œuvres, et il reprit encore sur moi, par cette