Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/238

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père ! Sarah et Mary diront cela ! et cependant je les aime avec un cœur ardent et tendre, je les élève de loin, je les surveille de mon vaisseau, je leur écris tous les jours, je dirige leurs lectures, leurs travaux, je leur envoie des idées et des sentiments, je reçois en échange leurs confidences d’enfants ; je les gronde, je m’apaise, je me réconcilie avec elles ; je sais tout ce qu’elles font ! je sais quel jour elles ont été au temple avec de trop belles robes. Je donne à leur mère de continuelles instructions pour elles, je prévois d’avance qui les aimera, qui les demandera, qui les épousera ; leurs maris seront mes fils ; j’en fais des femmes pieuses et simples : on ne peut pas être plus père que je ne le suis… Eh bien ! tout cela n’est rien, parce qu’elles ne me voient pas. »

Il dit ces derniers mots d’une voix émue, au fond de laquelle on sentait des larmes… Après un moment de silence, il continua :

« Oui, Sarah ne s’est jamais assise sur mes genoux que lorsqu’elle avait deux ans, et je n’ai tenu Mary dans mes bras que lorsque ses yeux n’étaient pas ouverts encore. Oui, il est juste que vous ayez été indifférent pour votre père et qu’elles le deviennent un jour pour moi. On n’aime pas un invisible. — Qu’est-ce pour elles que leur père ? une lettre de chaque jour. Un conseil plus ou moins froid. — On n’aime pas un conseil, on aime un être, — et un être qu’on ne