Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/249

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pour calmer les murmures de ma conscience, terminèrent leurs discours par un argument victorieux, jurant sur leur tête qu’on pourrait avoir, à la rigueur, quelques égards pour un honnête homme qui vous avait bien traité, mais que tout les confirmait dans la certitude qu’un Anglais n’était pas un homme.

Je revins assez pensif à bord de l’Océan, et lorsque j’eus dormi, et que je vis clair dans ma position en m’éveillant, je me demandai si mes compatriotes ne s’étaient point moqués de moi. Cependant le désir de la liberté et une ambition toujours poignante et excitée depuis mon enfance, me poussaient à l’évasion, malgré la honte que j’éprouvais de fausser mon serment. Je passai un jour entier près de l’Amiral sans oser le regarder en face, et je m’étudiai à le trouver inférieur et d’intelligence étroite. — Je parlai tout haut à table, avec arrogance, de la grandeur de Napoléon ; je m’exaltai, je vantai son génie universel, qui devinait les lois en faisant les codes, et l’avenir en faisant des événements. J’appuyai avec insolence sur la supériorité de ce génie, comparée au médiocre talent des hommes de tactique et de manœuvre. J’espérais être contredit ; mais, contre mon attente, je trouvai dans les officiers anglais plus d’admiration encore pour l’Empereur que je ne pouvais en montrer pour leur implacable ennemi.