Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/283

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tte et à la lance, il n’avait fallu que le soubresaut d’une de ces grenouilles des ruisseaux de Paris qu’on nomme : Gamins.

Renaud répondit à ma pensée. Il pencha sa joue sur le traversin, et, me serrant la main :

« Nous étions en guerre, me dit-il ; il n’est pas plus assassin que je ne le fus à Reims, moi. Quand j’ai tué l’enfant russe, j’étais peut-être aussi un assassin ? — Dans la grande guerre d’Espagne, les hommes qui poignardaient nos sentinelles ne se croyaient pas des assassins, et, étant en guerre, ils ne l’étaient peut-être pas. Les catholiques et les huguenots s’assassinaient-ils ou non ? — De combien d’assassinats se compose une grande bataille ? — Voilà un des points où notre raison se perd et ne sait que dire. C’est la guerre qui a tort et non pas nous. Je vous assure que ce petit bonhomme est fort doux et fort gentil ; il lit et écrit déjà très bien. C’est un enfant trouvé. — Il était apprenti menuisier. — Il n’a pas quitté ma chambre depuis quinze jours, et il m’aime beaucoup, ce pauvre garçon. Il annonce des dispositions pour le calcul ; on peut en faire quelque chose. »

Comme il parlait plus péniblement et s’approchait de mon oreille, je me penchai, et il me donna un petit papier plié qu’il me pria de parcourir. J’entrevis un court testament par lequel il laissait une sorte de métairie misérable qu’il