Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/289

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lent, qui me semble infaillible, le Soldat, l’homme des Armées, a besoin d’être consolé de la rigueur de sa condition. Il sent que la Patrie, qui l’aimait à cause des gloires dont il la couronnait, commence à le dédaigner pour son oisiveté, ou le haïr à cause des guerres civiles dans lesquelles on l’emploie à frapper sa mère. — Ce Gladiateur, qui n’a plus même les applaudissements du cirque, a besoin de prendre confiance en lui-même, et nous avons besoin de le plaindre pour lui rendre justice, parce que, je l’ai dit, il est aveugle et muet ; jeté où l’on veut qu’il aille, en combattant aujourd’hui telle cocarde, il se demande s’il ne la mettra pas demain à son chapeau.

Quelle idée le soutiendra, si ce n’est celle du Devoir et de la parole jurée ? Et dans les incertitudes de sa route, dans ses scrupules et ses repentirs pesants, quel sentiment doit l’enflammer et peut l’exalter dans nos jours de froideur et de découragement ?

Que nous reste-t-il de sacré ?

Dans le naufrage universel des croyances, quels débris où se puissent rattacher encore les mains généreuses ? Hors l’amour du bien-être et du luxe d’un jour, rien ne se voit à la surface de l’abîme. On croirait que l’égoïsme a tout submergé ; ceux même qui cherchent à sauver les âmes et qui plongent avec courage se sentent