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DE SERVITUDE MILITAIRE.

souciais bien d’eux, en effet ! J’aurais voulu les tenir, je les aurais fait fusiller tous les cinq, les coquins ! Oh ! je l’aurais fait ; je me souciais de la vie comme de l’eau qui tombe là, tenez… Je m’en souciais bien !… une vie comme la mienne… Ah bien, oui ! pauvre vie… va !

Et la voix du Commandant s’éteignit peu à peu et devint aussi incertaine que ses paroles ; et il marcha en se mordant les lèvres et en fronçant le sourcil dans une distraction terrible et farouche. Il avait de petits mouvements convulsifs et donnait à son mulet des coups du fourreau de son épée, comme s’il eût voulu le tuer. Ce qui m’étonna, ce fut de voir la peau jaune de sa figure devenir d’un rouge foncé. Il défit et entr’ouvrit violemment son habit sur la poitrine, la découvrant au vent et à la pluie. Nous continuâmes ainsi à marcher dans un grand silence. Je vis bien qu’il ne parlerait plus de lui-même, et qu’il fallait me résoudre à questionner.

— Je comprends bien, lui dis-je, comme s’il eût fini son histoire, qu’après une aventure aussi cruelle on prenne son métier en horreur.

— Oh ! le métier ; êtes-vous fou ? me dit-il brusquement, ce n’est pas le métier ! Jamais le capitaine d’un bâtiment ne sera obligé d’être un