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DE SERVITUDE MILITAIRE.

de même, la pauvre petite ! idiote, ou comme imbécile, ou folle, comme vous voudrez. Jamais on n’en a tiré une parole, si ce n’est quand elle dit qu’on lui ôte ce qu’elle a dans la tête.

De ce moment-là je devins aussi triste qu’elle, et je sentis quelque chose en moi qui me disait : Reste devant elle jusqu’à la fin de tes jours, et garde-la ; je l’ai fait. Quand je revins en France, je demandai à passer avec mon grade dans les troupes de terre, ayant pris la mer en haine parce que j’y avais jeté du sang innocent. Je cherchai la famille de Laure. Sa mère était morte. Ses sœurs, à qui je la conduisais folle, n’en voulurent pas, et m’offrirent de la mettre à Charenton. Je leur tournai le dos, et je la garde avec moi.

— Ah ! mon Dieu ! si vous voulez la voir, mon camarade, il ne tient qu’à vous. — Serait-elle là dedans ? lui dis-je. — Certainement ! tenez ! attendez. Hô ! hô ! la mule…