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SOUVENIRS

tourer de gladiateurs dans la lutte sans cesse menaçante ; cependant l’idée se fera jour et prendra sa forme, comme fait tôt ou tard toute idée nécessaire.

Dans l’état actuel, que de bons sentiments à conserver qui pourraient s’élever encore par le sentiment d’une haute dignité personnelle ! J’en ai recueilli bien des exemples dans ma mémoire ; j’avais autour de moi, prêts à me les fournir, d’innombrables amis intimes, si gaîment résignés à leur insouciante soumission, si libres d’esprit dans l’esclavage de leur corps, que cette insouciance me gagna un moment comme eux, et, avec elle, ce calme parfait du soldat et de l’officier, calme qui est précisément celui du cheval mesurant noblement son allure entre la bride et l’éperon, et fier de n’être nullement responsable. Qu’il me soit donc permis de donner, dans la simple histoire d’un brave homme et d’une famille de soldat que je ne fis qu’entrevoir, un exemple, plus doux que le premier, de ces longues résignations de toute la vie, pleines d’honnêteté, de pudeur et de bonhomie, très-communes dans notre armée, et dont la vue repose l’âme, quand on vit en même temps, comme je le faisais, dans un monde élégant, d’où l’on descend avec plaisir pour étudier des mœurs plus naïves, tout arriérées qu’elles sont.