Page:Vigny - Stello ou Les diables bleus, 1832.djvu/133

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lumières ; et, par un instinct maternel inexplicable, elle courut embrasser ses enfants, elle qui avait une joie d’amante ! — Les femmes ont des mouvements inspirés on ne sait d’où.

C’était, en effet, le carrosse du Lord-Maire, le très honorable M. Beckford, roi de Londres, élu parmi les soixante-douze corporations des marchands et artisans de la ville, qui ont à leur tête les douze corps des orfèvres, poissonniers, tanneurs, etc., dont il est le chef suprême. Vous savez que jadis le Lord-Maire était si puissant qu’il alarmait les rois et se mettait à la tête de toutes les révolutions, comme Froissart le dit en parlant des Londriens ou vilains de Londres. M. Beckford n’était nullement révolutionnaire en 1770 ; il ne faisait nullement trembler le Roi ; mais c’était un digne gentleman, exerçant sa juridiction avec gravité et politesse, ayant son palais et ses grands dîners, où quelquefois le Roi était invité, et où le Lord-Maire buvait prodigieusement, sans perdre un instant son admirable sang-froid. Tous les soirs, après dîner, il se levait de table le premier, vers huit heures, allait lui-même ouvrir la grande porte