Page:Vigny - Stello ou Les diables bleus, 1832.djvu/377

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d’un quai, et que l’on m’y pressait encore, je levai les yeux et regardai autour de moi et devant moi. J’étais devant l’Hôtel de Ville ; je le reconnus à ce cadran lumineux, éteint depuis, rallumé nouvellement tel qu’on le voit, et qui, tout rouge alors, ressemblait de loin à une large lune de sang sur laquelle des heures magiques étaient marquées. Le cadran disait minuit et vingt minutes : je crus rêver. Ce qui m’étonna surtout fut de voir réellement autour de moi une quantité d’hommes assemblés. Sur la Grève, sur les quais, partout on allait sans savoir où. Devant l’Hôtel de Ville surtout on regardait une grande fenêtre éclairée. C’était celle du conseil de la Commune. Sur les marches du vieux palais était rangé un bataillon épais d’hommes en bonnets rouges, armés de piques et chantant La Marseillaise, le reste du peuple était dans la stupeur et parlait à voix basse.

Je pris la sinistre résolution d’aller chez Joseph Chénier. J’arrivai bientôt à une étroite rue de l’île Saint-Louis où il s’était réfugié. Une vieille femme, notre confidente, qui m’ouvrit en tremblant après m’avoir fait longtemps attendre, me dit « qu’il dormait ; qu’il était bien content de