Page:Vigny - Stello ou Les diables bleus, 1832.djvu/393

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Ils étaient vaincus, peu m’importait le reste.

Je restai sur la même place, et prenant les mains longues et ignorantes de mon canonnier naïf, je lui fis cette petite allocution :

« O Blaireau ! ton nom ne tiendra pas la moindre place dans l’Histoire, et tu t’en soucies peu, pourvu que tu dormes le jour et la nuit, et que ce ne soit pas loin de Rose. Tu es trop simple et trop modeste, Blaireau, car je te jure que, de tous les hommes appelés grands par les conteurs d’histoire, il y en a peu qui aient fait des choses aussi grandes que celles que tu viens de faire. Tu as retranché du monde un règne et une Ere démocratique ; tu as fait reculer la Révolution d’un pas, tu as blessé à mort la République… Voilà ce que tu as fait, ô grand Blaireau ! — D’autres hommes vont gouverner qui seront félicités de ton œuvre ; et qu’un souffle de toi aurait pu disperser comme la fumée de ta pipe solennelle. On écrira beaucoup et longtemps, et peut-être toujours, sur le 9 Thermidor ; et jamais on ne pensera à te rapporter l’hommage d’adoration qui t’est dû tout aussi justement qu’à tous les hommes d’action qui pensent si peu et qui savent si peu comment