Page:Vigny - Stello ou Les diables bleus, 1832.djvu/92

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grands yeux bleus, vous l’eussiez prise pour une des belles maîtresses de Louis XIV dont vous aimez tant les portraits sur émail, plutôt que pour ce qu’elle était, c’est-à-dire une marchande de gâteaux. Sa petite boutique était située près du Parlement, et quelquefois, en sortant, les membres des deux Chambres descendaient de cheval à sa porte, et venaient manger des buns et des mince-pies en continuant la discussion sur le Bill. C’était devenu une sorte d’habitude, par laquelle la boutique s’agrandissait chaque année, et prospérait sous la garde des deux petits enfants de Kitty. Ils avaient huit ans et dix ans, le visage frais et rose, les cheveux blonds, les épaules toutes nues et un grand tablier blanc devant eux et sur le dos, tombant comme une chasuble.

Le mari de Kitty, master Bell, était un des meilleurs selliers de Londres, et si zélé pour son état, pour la confection et le perfectionnement de ses brides et de ses étriers, qu’il ne mettait presque jamais le pied à la boutique de sa jolie femme dans la journée. Elle était sérieuse et sage ; il le savait, il y comptait et, je crus, en vérité, qu’il n’était pas trompé.