Page:Vigny - Théâtre, I, éd. Baldensperger, 1926.djvu/321

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Pourvu que jusque-là nulle crainte de femme
N’aille, à l’instant d’agir, intimider votre âme.

JULIETTE.

Donnez ; ne parlons plus de terreur entre nous.

LAURENCE.

Prenez donc. Moi, je vais écrire à votre époux,
Et nous pourrons tous trois faire face à l’orage.

JULIETTE.

Que l’amour à présent me donne du courage !



SCÈNE VI.


JULIETTE, seule.

Adieu, vous tous. — Dieu sait quand nous nous reverrons !
Elle ferme la porte avec soin.
Je sens courir en moi les frissons de la crainte.
Il me semble déjà que ma vie est éteinte.
Si je les rappelais, puisque je tremble ainsi !
Elle appelle.
Ma nourrice ! — Eh ! mon Dieu ! que ferait-elle ici ?
Je dois seule assister à la funèbre scène.
— J’irai, fiole effrayante, où ton philtre me mène,
— Mais… s’il était sans force, il faudrait donc demain
Laisser prendre à Pâris tous ses droits sur ma main ?
Non, non, que ce couteau m’en préserve et me reste.
Elle prend le poignard.
— Mais... si c’est un poison ? par un calcul funeste
Si Laurence veut fuir la honte d’allier
Ce second mariage aux serments du premier ?
Oui, je le crains. — Pourtant j’y pense, on le renomme
Dès longtemps et partout comme un bon et brave homme