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THÉÂTRE.

LE QUAKER.

Sa mère a l’oreille frappée d’une voix moins douce que la tienne, elle n’entendrait pas. — Voilà trois fois qu’il la demande !

CHATTERTON, s’appuyant sur le fauteuil où le quaker est assis.

Vous me grondez toujours ; mais dites-moi seulement pourquoi on ne se laisserait pas aller à la pente de son caractère, dès qu’on est sûr de quitter la partie quand la lassitude viendra ? Pour moi, j’ai résolu de ne me point masquer et d’être moi-même jusqu’à la fin, d’écouter, en tout, mon cœur dans ses épanchements comme dans ses indignations, et de me résigner à bien accomplir ma loi. À quoi bon feindre le rigorisme, quand on est indulgent ? On verrait un sourire de pitié sous ma sévérité factice, et je ne saurais trouver un voile qui ne fût transparent. — On me trahit de tout côté, je le vois, et me laisse tromper par dédain de moi-même, par ennui de prendre ma défense. J’envie quelques hommes en voyant le plaisir qu’ils trouvent à triompher de moi par des ruses grossières ; je les vois de loin en ourdir les fils, et je ne me baisserais pas pour en rompre un seul, tant je suis devenu indifférent à ma vie. Je suis d’ailleurs assez vengé par leur abaissement, qui m’élève à mes yeux, et il me semble que la Providence ne peut laisser aller longtemps les choses de la sorte. N’avait-elle pas son but en me créant ainsi ? Ai-je le droit de me roidir contre elle pour réformer la nature ? Est-ce à moi de démentir Dieu ?

LE QUAKER.

En toi, la rêverie continuelle a tué l’action.