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CHATTERTON.


ACTE III.

La chambre de Chatterton, sombre, petite, pauvre, sans feu ;
un lit misérable et en désordre.


SCÈNE PREMIÈRE.

CHATTERTON, seul.
Il est assis sur le pied de son lit et écrit sur ses genoux.

Il est certain qu’elle ne m’aime pas. — Et moi… je n’y veux plus penser. — Mes mains sont glacées, ma tête est brûlante. — Me voilà seul en face de mon travail. — Il ne s’agit plus de sourire et d’être bon ! de saluer et de serrer la main ! Toute cette comédie est jouée : j’en commence une autre avec moi-même. — Il faut, à cette heure, que ma volonté soit assez puissante pour saisir mon âme et l’emporter tour à tour dans le cadavre ressuscité des personnages que j’évoque et dans le fantôme de ceux que j’invente ! Ou bien il faut que, devant Chatterton malade, devant Chatterton qui a froid, qui a faim, ma volonté fasse poser avec prétention un autre Chatterton, gracieusement paré pour l’amusement du public, et que celui-là soit décrit par l’autre : le troubadour par le mendiant. Voilà les deux poésies possibles, ça ne va pas plus loin que cela ! Les divertir ou leur faire pitié ; faire jouer de misérables