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CHATTERTON.

son calice ; la Charité, ses pauvres enfants ; quand la Loi est athée et corrompue comme une courtisane ; lorsque la Terre crie et demande justice au Poète de ceux qui la fouillent sans cesse pour avoir son or, et lui disent qu’elle peut se passer du Ciel.

Et moi ! moi qui sens cela, je ne lui répondrais pas ! Si ! par le Ciel ! je lui répondrai. Je frapperai du fouet les méchants et les hypocrites. Je dévoilerai Jeremiah Milles et Warton.

Ah ! misérable ! Mais… c’est la Satire ! tu deviens méchant.

Il pleure longtemps avec désolation.

Écris plutôt sur ce brouillard qui s’est logé à ta fenêtre comme à celle de ton père.

Il s’arrête. — Il prend une tabatière sur sa table.

Le voilà, mon père ! — Vous voilà ! Bon vieux marin, franc capitaine de haut bord, vous dormiez la nuit, vous, et, le jour, vous vous battiez ! vous n’étiez pas un Paria intelligent comme l’est devenu votre pauvre enfant. Voyez-vous, voyez-vous ce papier blanc ? S’il n’est pas rempli demain, j’irai en prison, mon père, et je n’ai pas dans la tête un mot pour noircir ce papier, parce que j’ai faim. — J’ai vendu, pour manger, le diamant qui était là, sur cette boîte, comme une étoile sur votre beau front. Et à présent je ne l’ai plus, et j’ai toujours la faim. Et j’ai aussi votre orgueil, mon père, qui fait que je ne le dis pas. — Mais vous qui étiez vieux, et qui saviez qu’il faut de l’argent pour vivre, et que vous n’en aviez pas à me laisser, pourquoi m’avez-vous créé ?

Il jette la boîte. — Il court après, se met à genoux et pleure.