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CHATTERTON.

qui te plairait d’abord assez comme poète, et puis un peu de délire, et puis un bon sommeil bien lourd et sans rêve, je t’assure. — Tu es resté bien longtemps seul, Chatterton.

Le quaker pose le flacon sur la table. Chatterton le reprend à la dérobée.
CHATTERTON.

Et si je veux rester seul pour toujours, n’en ai-je pas le droit ?

LE QUAKER.
Il s’assied sur le lit ; Chatterton reste debout, les yeux fixes et hagards.

Les païens disaient cela.

CHATTERTON.

Qu’on me donne une heure de bonheur, et je redeviendrai un excellent chrétien. Ce que… ce que vous craignez, les stoïciens l’appelaient sortie raisonnable.

LE QUAKER.

C’est vrai ; et ils disaient même que, les causes qui nous retiennent à la vie n’étant guère fortes, on pouvait bien en sortir pour des causes légères. Mais il faut considérer, ami, que la Fortune change souvent et peut beaucoup, et que si elle peut faire quelque chose pour quelqu’un, c’est pour un vivant.

CHATTERTON.

Mais aussi elle ne peut rien contre un mort. Moi, je dis qu’elle fait plus de mal que de bien, et qu’il n’est pas mauvais de la fuir.