thousiasme, mais Vigny approuvera longtemps chez celui-ci « une tristesse, une ironie désespérée ». Quant à Kitty Bell, son rôle était d’office attribué à Mme Dorval : d’où conflit avec Mlle Mars. Là encore, on s’émut en haut lieu. À un bal de l’Hôtel de Ville offert par le préfet de la Seine, Louis-Philippe demanda à Vigny si l’affaire était arrangée. « Cela devenait une question de cabinet » (H. Hostein, Historiettes et Souvenirs, 1878, p. 151). Quelques orages marquèrent les répétitions. Un mémento du poète en a gardé la trace, celle aussi des indications prises par l’auteur au cours des représentations : plusieurs ont passé dans la caractéristique des personnages (cf. E. Sakellandes, Alfred de Vigny, auteur dramatique, p. 175). Joanny ne voulait pas d’un escalier tournant sur la scène de la maison de Molière. « Comme dans Robert Macaire, alors ! » Au sujet de la mise en scène, on trouvera divers détails dans les Souvenirs d’un homme de théâtre de Ch. Séchan, décorateur de l’Opéra (1883, p. 240) : c’est de chez lui que venaient les impressionnants accessoires qui devaient contribuer au succès de la pièce. Voir aussi, dans En regardant passer la vie, d’H. Amie, la tradition rapportée par Luguet, gendre de Mme Dorval. Tout ceci explique que le drame, que la Revue des Deux Mondes du 15 janvier 1835 faisait prévoir pour bientôt, ait tardé à paraître devant le public parisien : le triomphe n’en fut que différé.
De la fièvre d’anxiété qui étreignait l’auteur le 12 février 1835, son Journal inédit porte témoignage. Note écrite « debout », à 6 heures du soir ; long épanchement, à minuit, actions de grâces et, pour la première fois, de pleine gratitude de Vigny à l’égard du grand public ; « j’ai des remords d’avoir mal jugé mes concitoyens… La finesse toute française et la promptitude de leur perception ont fait qu’aucune de mes intentions les plus fines et les plus déliées ne leur est échappée » : ce fut véritablement, pour l’auteur, une date inouïe dans toute son existence. Jusqu’à la reine Marie-Amélie, avec ses enfants dans une loge de face, qui semblait donner à cette grande soirée une approbation quasi-officielle : le repentir du régime « bourgeois » à l’égard de la poésie…
La pièce, accueillie le premier soir par une jeunesse enthousiaste et par un public séduit qui, dix minutes durant, acclama les artistes et le nom de l’auteur, tint parfaitement l’affiche : elle n’est pas jouée moins de trente-neuf fois entre le 12 février et le 8 juillet 1835, reparaît l’hiver suivant, est donnée en province, particulièrement en 1837 par Mme Dorval. Le pathétique d’une œuvre pitoyable aux secrets « génies » valut à son auteur une sorte de popularité douloureuse au-