Page:Vigny - Théâtre, II, éd. Baldensperger, 1927.djvu/393

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
383
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

heureux sur la terre, et l’Angleterre compterait aujourd’hui un grand poète de plus. » On verra plus loin que le Parlement s’inquiéta de l’« immoralité » de la pièce.

C’est à ce genre de reproches que Vigny se crut obligé de répondre par une lettre ouverte au directeur de la Revue des Deux Mondes (chronique du numéro du 1er septembre 1835), et ce périodique fit suivre de quelques lignes obligeantes « cette juste réclamation ».

L’article le plus élogieux se lit dans le journal d’A. Carrel : le critique anonyme (X.) du National (16 février), après avoir constaté que le poète, « lié à cette longue chaîne d’écrivains et de poètes qui,depuis des siècles, avec des différences nécessaires de mœurs, de formes et de lois, honorent l’art et ennoblissent l’humanité »… « s’est mis tout à fait hors du camp où l’on s’est plu à l’enrégimenter », donnait du drame une analyse élogieuse. « Ce qu’il y a de curieux dans l’ouvrage de M. de Vigny, c’est qu’il est à la fois simple et orné, qu’il touche par la vérité des émotions, en même temps qu’il occupe et éblouit par la recherche et l’éclat de la forme. » C’est surtout la personnalité de Vigny que grandissait ce compte rendu : « Il est impossible de ne pas l’aimer pour cette fière solitude où il défend et épure sa pensée… »

Après un premier article de F. Dugué sur la valeur poétique du drame, parfois étouffé sous le poème, V. Herbin, directeur d’Art et Progrès, Revue du Théâtre, constate que « M. de Vigny a présenté une œuvre exceptionnelle en dehors de toutes les règles et de toutes les conditions du théâtre, dénuée de mouvement et d’intrigue. Mais l’auteur ne l’a-t-il pas fait en connaissance de cause ? » Il revient sur ce sujet, constate le succès croissant, s’arrête encore à la préface de la pièce après sa publication en librairie : les 63e, 65e, 78e livraisons de cette revue mettent vraiment au pinacle la pièce, les interprètes et l’auteur, « le Racine du romantisme ». Dans le même périodique, cependant, Édouard Thierry voit dans le héros « la caricature du poète ».

Parfaitement indifférent, dirait-on, à la condition des poètes de génie, le critique Ch. Maurice [Descombes], du Courrier des Spectacles, fut assez dur, et l’est resté dans son volume Du théâtre, de la littérature (1856, p. 402). « Chatterton n’est qu’une longue dissertation sur un fait cent fois mis au théâtre : l’amour timoré d’un jeune homme qui commence par l’exaltation et se détruit par le suicide. M. de Vigny a posé tout doucement sa contexture encore fragile sous ces deux aspects… »

Le Constitutionnel constate le succès, mais trouve faible la concep-