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Page:Ville - Au Klondyke, 1898.djvu/175

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la révolte

quoi, l’on attendit, comptant les heures, qui passaient lentes et tristes.

Quand revenait, chaque jour, la lueur crépusculaire qui perçait comme à regret l’obscurité, les cœurs battaient d’espérance ; mais sitôt qu’elle s’éteignait, les fronts redevenaient soucieux, et les yeux, un instant irradiés, reprenaient leur atonie. À l’énergie des premiers jours avait succédé un profond abattement, et les pauvres matelots se demandaient, tout angoissés, s’ils reverraient jamais les êtres chers qu’ils avaient laissés au pays. Leur esprit troublé évoquait sans cesse des visions qui leur arrachaient des larmes. C’étaient des visages ridés de vieilles mères, de doux sourires d’épouses, des petits bras d’enfants qui semblaient se tendre vers eux : puis, soudain, la main brutale de la réalité dissipait ce mirage, et le rêve s’achevait dans un sanglot.

M. de Navailles, lui, n’avait pas la suprême consolation d’évoquer le passé. Tombé du haut de son espérance, il restait des heures entières, sombre et taciturne.

En vain Vernier tentait-il, par des paroles encourageantes, de galvaniser cette volonté abattue, le comte ne répondait que par un sourire amer qui ressemblait à un rictus. Malgré lui, ces mots de son ami : Nous allons tenter Dieu, lui revenaient en mémoire, et cet avertissement flamboyaient sans cesse devant ses yeux comme le Mane, thecel, pharès de Balthazar. Combien, en ce moment, il maudissait son fatal orgueil, cause de tout le mal ! Mais par respect humain, il n’en laissait rien paraître, craignant d’être ridicule en manifestant le moindre repentir, alors qu’un mot dans ce sens eût rendu si heureux l’ami