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au klondyke

Le jour parut enfin, et avec lui son cortège de radieuses espérances.

Mais que se passe-t-il donc ? Tous se lèvent, poussant des hurlements de joie et gesticulant comme des forcenés ! Vernier lui-même, l’impassible Vernier semble prêt à partager cet accès de démence.

C’est qu’un faible rayonnement dore la blanche lumière du jour qui commence, annonçant le soleil. Ce n’est pas, il est vrai, la pleine lumière des jours radieux précurseurs des nuits scintillantes, mais c’est la fin d’un sombre cauchemar qui avait semblé devoir se terminer dans une obscurité éternelle.

La faim, la soif, la fatigue, tout est oublié. On s’embrasse, on pleure, on rit ; des voix caverneuses commencent des refrains qu’elles n’achèvent point ; les mains se cherchent, se rencontrent, se serrent. Un matelot saute au cou du capitaine. Le maître d’équipage tire de son sifflet de manœuvre des sons aigus, et lorsqu’il l’écarte de ses lèvres, c’est pour crier :

— Largue le grand hunier, la grande voile, la misaine et la brigantine ! La barre à tribord, et profitons du vent !

Vernier adresse au ciel une prière d’actions de grâces. Son visage est empreint d’une joie intense. Il va pouvoir enfin sauver quelques-uns de ceux qui l’ont aveuglément suivi et qu’il avait craint de voir, jusqu’au dernier, mourir sous ses yeux.

La vision de ceux qui avaient succombé nuagea un instant le rayonnement de sa joie, mais il chassa bien vite cette pensée importune : le passé n’était plus ; le présent seul existait, et ce présent, c’était la presque certitude