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le caïman

vait toujours sur le bord de son hamac une chemise de flanelle bien sèche et une vareuse bien brossée, tandis que, dans un coin, deux souliers brillaient comme des miroirs. En un mot, le rusé Parisien exploitait sans vergogne le bon cœur de Valentin, qu’il considérait de bonne foi comme son domestique. Il allait même jusqu’à lui faire culotter ses pipes, car, en fumeur consommé, le Parisien avait horreur de l’odeur de terre qui, lorsqu’elles sont neuves, se mêle au tabac. Ces jours-là, Valentin ressemblait à une cheminée ambulante. Il allait et venait sur le pont, aspirant des nuages de fumée qu’il faisait passer à la fois par la bouche et les narines. Les autres matelots avaient bien essayé de le décider à leur culotter aussi des pipes, mais Valentin leur avait répondu par un refus catégorique, déclarant que ce genre d’exercice lui causait d’épouvantables maux de cœur qu’il ne supportait que pour être agréable à son ami Loriot.

Chose étrange : dans la conduite de Loriot, il entrait plus d’espièglerie que de duplicité : tout en se réjouissant du rôle qu’il faisait jouer à Valentin, il n’eût point toléré qu’un autre se moquât de lui. Comme il était robuste et agile et que, de plus, il connaissait admirablement la savate, cette escrime des faubourgs parisiens, ses camarades n’avaient garde de railler ouvertement celui dont il exploitait avec tant de désinvolture la naïveté quelquefois excessive.

C’est un malin ! disaient parfois les uns, en parlant de Loriot.

— C’est une canaille ! disaient les autres, car il abuse vraiment trop de ce pauvre garçon.