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la famille dufour

Le front de Joseph Dufour se rembrunit. Mais, après un instant de silence, il répondit d’une voix sourde :

— Je me suis retiré dans le désert parce que les Anglais et leurs féroces alliés, les Iroquois, ont dévasté et brûlé ma ferme. Si j’étais seul, je serais resté là-bas pour faire payer aux ennemis le mal qu’ils m’ont fait ; mais suis époux et père ; j’ai dû songer à assurer l’avenir de ma famille, désormais ruinée. Ici, loin des passions humaines, sous le regard de Dieu, je vais reprendre ma vie de labeur.

— Votre histoire est triste, dit Louis, ému par tant d’infortune.

— Bien triste, en effet, dit Mme  Dufour, car nous avons perdu le fruit de vingt années de travail ; mais s’il plaît à Dieu, nous sortirons victorieux de cette épreuve.

— C’est égal, dit Joseph Dufour, avec un rire nerveux, les Anglais pourront prendre le Canada, ils n’auront jamais le cœur des Canadiens. À mesure que les choses se gâtent pour le roi de France, l’émigration augmente. Si cela continue, Québec et les autres villes deviendront aussi solitaires que le désert.

Ces paroles jetèrent une teinte de tristesse sur les visages. Mais Joseph Dufour reprit bientôt sur un ton enjoué.

— Maintenant que la connaissance est faite, dit-il à Louis, que comptez-vous faire ?

— Je ne sais. Conseillez-moi. D’abord, à quelle distance sommes-nous de Québec ?

— En voyageant à cheval, il faut au moins dix jours pour s’y rendre ; mais fallût-il moins de temps encore, qu’il vous serait impossible d’y retourner seul, car vous ne connaissez pas la route.

— C’est vrai, fit Louis avec abattement.

— Voici donc ce que j’ai à vous proposer : vous resterez ici quelques jours pour vous remettre complètement. D’ici là, nous recevrons bien la visite d’un de ces braves et honnêtes chasseurs qui sillonnent les bois. Dès que nous en verrons un,