Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/149

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quelques hommes de mœurs graves, d’un esprit libre et élevé, la plupart unis par le sang ou par la plus étroite amitié, forment loin du monde une société tout occupée du travail et de la méditation. Studieux amateurs de l’antiquité, leurs écrits en portent le caractère mâle et fort. Avec plus de raison que d’élégance, ils donnent cependant le premier modèle du bon goût et de la saine littérature. Ils ont connu les affaires et la vie ; ils ont admis dans leur sein des hommes battus par les vents des factions. Ces pieux solitaires sont les amis innocents, mais fidèles de l’ambitieux coadjuteur de Paris. Port-Royal a recueilli plus d’un noble débris de la Fronde ; et cette indépendance à la fois violente et frivole, qui avait agité l’État, sans savoir le réformer, est venue chercher un asile dans la religion. Là se trouvait presque toute réunie, comme une tribu antique, cette famille Arnauld, étonnante par la variété des talents et l’élévation uniforme des caractères. Si la différence des mœurs permettait ce singulier parallèle, on dirait les Appius de Rome, tous ardents, habiles, opiniâtres. Ils avaient également à soutenir une de ces longues inimitiés qui dans les républiques anciennes faisaient partie de l’héritage des familles. Antoine Arnauld, véhément accusateur des jésuites, dans un procès fameux, avait attiré sur ses nombreux enfants la haine de cette vindicative et puissante société, et leur avait transmis le courage et le talent de la braver.

Mais, dira-t-on, qu’importent les cinq propositions inintelligibles de Jansénius et tant de controverses si stériles et si longues ? Ce prompt mépris serait peu philosophique. Les occasions, les formes changent ; les occupations de l’esprit humain se renouvellent ; mais dans tous les temps, et sous des noms divers, il existe un débat entre l’autorité arbitraire et l’indépendance de la pensée, entre ceux qui veulent introduire la soumission absolue