Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/51

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niquent et s’entendent, jugent la critique, devinent les intérêts cachés, et ne croient pas plus à l’exagération des reproches qu’à la fureur des louanges.

Cependant, comme c’est la foule qui forme l’opinion du jour, et que c’est la critique qui forme l’opinion de la foule, on avait senti de tout temps l’influence que peuvent obtenir les feuilles publiques. Aussi cette société religieuse, si célèbre par son ambition souple et infatigable, non contente de s’introduire à la Chine, de dominer en Europe, de tenir entre ses mains la foi des peuples et la conscience des rois, pour compléter son singulier empire, avait cru nécessaire de régler le goût, à peu près comme la morale ; et, parmi cette variété de talents qu’elle réunissait dans son sein, outre les prédicateurs et les géomètres, les savants et les hommes du monde, les casuistes et les intrigants, elle avait eu soin de se pourvoir de journalistes[1]. Mais la critique exercée par des hommes de parti ne produit pas une impression durable. Elle sert à l’humiliation du talent, au triomphe passager de la médiocrité ; elle ne change pas le goût public. Cette gloire n’a jamais appartenu qu’aux écrivains supérieurs, à Corneille, à Boileau, à Racine, à Molière, quelque temps à Fontenelle, longtemps à Voltaire. Je sais qu’il se présente dans l’histoire des arts une époque qui donne à la critique plus d’importance et d’autorité, c’est l’époque où les talents s’éteignent et deviennent plus rares, où le goût émoussé par la satiété s’égare, se corrompt : alors la portion impartiale du public ne peut-elle pas devenir aveugle ? n’a-t-elle pas besoin d’être éclairée ? On peut en conclure que la critique est une de ces professions qui prospèrent dans les temps malheureux.

Sous la dictature même de Voltaire, le mauvais goût

  1. Le Journal de Trévoux.