Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/56

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leur ait fait craindre d’exposer à d’injurieuses attaques un nom respectable, et qu’ils n’aient pas eu le courage d’augmenter leurs titres, de peur de compromettre leur gloire. Mais enfin, si depuis dix ans le goût s’est épuré, si les saines doctrines sont reconnues, en attendant qu’elles soient pratiquées, la critique n’est pas étrangère à cette réforme des idées littéraires longtemps vagues ou fausses ; elle popularise l’instruction ; même quand elle juge mal des lettres, elle y fait penser. Elle proteste en général contre les innovations dangereuses : sous la plume de quelques hommes elle s’exprime avec une correction élégante, qui n’est pas inutile au maintien de la langue et du goût, dans un siècle où l’homme du monde a peu de temps pour lire, où trop souvent l’homme de lettres n’a que le temps d’écrire.

Que la critique sache toujours unir à la pureté du style l’usage de ces formes polies, qui n’ôtent rien à la vérité des jugements, mais qui la rendent plus tolérable pour l’amour-propre. Il existe un art d’être sévère, sans être offensant. Je sais qu’à la dureté trop commune de la critique on oppose la sensibilité ombrageuse souvent reprochée aux hommes de lettres. Les abus sont partout. Ko3 ouvrages nous touchent de si près, qu’il faut une rare modération pour séparer deux intérêts que le censeur affecte presque toujours de confondre. Cependant il semble qu’une critique sévère et raisonnée excite rarement des plaintes. On peut être offensé ; mais on ne s’irrite pas ; c’est le sarcasme, c’est la froide moquerie qui blesse et qui outrage. L’amour-propre consentirait à être blâmé ; mais il ne peut souffrir d’être raillé. Le blâme n’exclut pas l’estime ; il laisse la consolation de discuter, de contredire. La raillerie est l’expression irrévocable du dédain. Que la critique évite toujours la hauteur et l’ironie ; elle embarrassera beaucoup les amours-propres les plus intraitables ;