Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/70

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plus heureuse de la civilisation moderne ; et nous croirons que la sagesse ne devait pas s’irriter contre un pouvoir absolu qui s’adoucissait par le bonheur public. En recevant les mœurs et l’esprit de son siècle, Montesquieu évita cet injuste dédain pour les institutions nationales, cet enthousiasme de l’esprit novateur, qui présageait, dans l’oisiveté même d’un âge trop heureux, les agitations et les fureurs que renfermait l’avenir. Mais alors même que Montesquieu adoptait et se plaisait à embellir ce gouvernement que bientôt il justifia par des raisonnements, souvent les jeux de son esprit furent contraires aux opinions sur lesquelles ce gouvernement a besoin de s’appuyer.

La monarchie de Louis XIV ne pouvait subsister qu’avec les mœurs, les principes, la religion, qui marquèrent le règne de ce prince. Lorsque la corruption et la licence descendirent du trône dans la nation, chaque jour ce pouvoir absolu devint moins juste et moins révère. Le système politique de Louis XIV était un miracle de nobles illusions, qui pouvaient à peine durer l’espace d’un siècle, ou la vie même d’un homme. Mais surtout on ne devait pas espérer d’en prolonger l’influence au profit du pouvoir, lorsqu’elle n’existait plus au profit des mœurs. Si des écrivains libres et hardis ont préludé par une légère ironie à des attaques plus sérieuses, si la licence des mœurs a conduit à l’avilissement de l’autorité, cette progression était inévitable. En morale, en politique, une chose n’arrive pas précisément parce qu’il s’est rencontré un homme pour l’accomplir ; mais il y avait des causes qui la rendaient nécessaire, et devaient la faire sortir de telle ou telle main. Il était impossible que le dix-huitième siècle ne vit pas naître des écrivains animes d’un esprit d’indépendance et de curiosité, de hardis examinateurs de toutes les opinions, d’éloquents contradicteurs de la puissance, des hommes spirituels et moqueurs, qui jugeraient avec