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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

mable, ayant chassé loin de nous le poids insupportable de la honte. »

Jamais poésie n’eut tant d’empire : la loi est abrogée, la guerre décrétée et le poëte élu général. Ce fut alors même qu’un ambitieux déjà prédit par Solon, Pisistrate, parut s’associer à lui, le combla de louanges et le suivit dans l’expédition, qui fut heureuse et courte. Le poëte, le législateur, n’en fut pas moins dans la suite vaincu par Pisistrate, ami des vers aussi, puisqu’il recueillit pour Athènes les chants homériques, mais habile surtout dans cet art ancien et toujours applicable de fonder le pouvoir absolu par la démocratie.

Solon du moins, après avoir retardé ce dénouement, et sans y céder jamais, n’eut pas le tort de regretter ce qu’il n’avait pas voulu, ni de souhaiter en théorie le despotisme pour lui-même, comme s’il affectait par là de le justifier dans autrui. Entouré d’amis qui lui conseillaient de prendre le pouvoir, il avait refusé en disant : « C’est un beau pays que la royauté ; mais ce pays n’a pas d’issue. » Et plus tard, amusant son repos avec ce charme de la poésie dont il avait appuyé ses lois, il répétait : « Si j’ai épargné ma patrie, et n’ai pas voulu m’en rendre maître, ni m’élever par la force, en déshonorant la gloire que j’avais obtenue d’ailleurs, je n’ai honte ni repentir de cette modération : au contraire, c’est le côté par où j’ai surpassé les autres hommes. »