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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

À mesure que s’étendait l’horizon de l’empire grec, et que le génie de la liberté se perdait dans l’unité de la puissance, la grande poésie, l’audace de l’imagination et l’ardeur de la passion durent insensiblement diminuer et disparaître. La philosophie, non plus cosmogonique, mais morale, reparut encore cependant et fut comme la dernière liberté de la Grèce. Il y eut des écoles et des sectes, à défaut de patrie. Lorsqu’il n’y avait plus de peuple héroïque, il se forma encore par la réflexion et la science des âmes invincibles à la douleur et au plaisir. Plus tard, on regrettera que cette vertu contemplative dégénère aussi, comme la vertu civique, et qu’elle s’égare par le sophisme, se corrompe par la mollesse. Mais il est beau de voir, même sous la conquête macédonienne, ce qui restait de dignité morale à la philosophie, et quel langage elle savait prendre, entre la servitude du peuple civilisé et les apothéoses que se décernaient les généraux grecs conquérants des barbares.

C’est un demi-siècle après Alexandre, à travers les dominations tyranniques issues de sa grandeur, qu’un des fondateurs de cette école stoïque, sanctuaire de l’indépendance humaine survivant à la liberté, le philosophe Cléanthe, résumait son culte et sa foi dans un hymne au Dieu suprême. C’était une nouvelle forme de la poésie lyrique, l’élan réfléchi de l’âme, la force morale sans enthousiasme apparent, mais contenue et invincible devant l’erreur et les menaces du monde. Écrit