Page:Villemain - Essais sur le génie de Pindare, 1859.djvu/396

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
388
ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

précipiter dans les canaux de la foi nouvelle les flots harmonieux de l’idiome hellénique.

Ce fut alors qu’un rhéteur célèbre de Béryte et de Laodicée, devenu prêtre de l’Évangile après la mort d’une femme qui lui laissait un fils né comme lui pour l’enthousiasme et les arts, employa son ardeur, sa facilité de génie à dépouiller, pour ainsi dire, l’ancienne imagination grecque au profit d’une autre croyance, se servant de chacune de ces belles formes de l’art païen, comme d’un vase précieux qu’il dérobait pour y verser le vin nouveau de la foi.

Ainsi, dit-on, il entreprit de composer, à force de studieuses réminiscences, un Homère chrétien, un Pindare chrétien, et même un Ménandre chrétien, par une pieuse imitation des grâces de langage, et de la tendresse naturelle au style de l’amant de Glycère. Le temps n’a pas conservé ces œuvres d’industrie littéraire, et pour nous il importe peu, car l’intention même était un démenti à la vérité de l’art. Si, par un minutieux travail appliqué à des productions du génie auxquelles contribue la matière, une œuvre du pinceau est parfois, de nos jours, détachée de la toile usée ou du bois vermoulu qui en avait reçu l’empreinte, et si elle est adroitement déposée, par écailles légères, sur un fond nouveau qui la conserve, pareil procédé ne va pas aux œuvres divines de la parole humaine. On ne peut ainsi les transposer, car en elles rien n’est corps : elles sont un idéal qui sort de l’âme et parle