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ET SUR LA POÉSIE LYRIQUE.

dez-moi témoignage combien j’eus d’espoir et d’inquiétude, et avec quel transport je chantai sans crainte mes fières actions de grâces au milieu d’une foule servile ! Et quand, pour accabler cette nation désabusée, les rois, comme des démons mis en ligne par la baguette d’un enchanteur, marchèrent au combat dans un mauvais jour, et que la Grande-Bretagne se joignit au funeste armement, quoique bien des amitiés, bien de jeunes amours, eussent soulevé en moi l’émotion patriotique et fait briller sur nos collines et nos forêts une magique lumière, cependant ma voix non changée dénonça défaite à tous ceux qui braveraient la lance levée contre les tyrans, et prédit la honte à leur retraite impuissante et tardive. Car jamais, ô liberté ! je n’ai, dans un intérêt de parti, offusqué ta lumière ou étouffé ta sainte flamme ; mais je bénissais les armes triomphales de la France délivrée, et je baissais la tête et je pleurais au nom de la Grande-Bretagne.

Et qu’importe, disais-je, quand même le cri du blasphème lutterait avec cette douce harmonie des chants de délivrance, quand même toutes les passions violentes et enivrées mèneraient une danse plus folle que ne le fut jamais le rêve du maniaque ! Vous-mêmes, tempêtes qui vous amassez autour des feux naissants de l’aurore, le soleil se lève, quoique vous cachiez sa lumière. Et lorsque, pour calmer mon âme qui espérait et qui tremblait, la discorde

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