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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

ces vastes régions livrées à tous les hasards de la théorie, de l’ambition et de la guerre civile. C’est là que grandit un poëte né à Cuba, au commencement du siècle, d’un père jurisconsulte et partisan des idées modernes. L’enfant qui devait illustrer le nom d’Heredia était malingre, difforme, à demi paralysé ; mais la vigueur de son esprit surmonta tous les obstacles du corps. Étudiant à la fois les langues savantes et les philosophes français, Homère et Raynal, bientôt il se sentit poëte. Conduit à Caracas, où son père devenait président de l’audience royale, respirant l’air de la première république proclamée à Venezuela, il ne rêva plus que le rôle de Tyrtée du nouveau monde. Dans cette espérance, il revit Cuba en 1824, essaya d’y conspirer par ses entretiens et par ses vers, fut poursuivi, trahi, sauvé, et réussit à passer dans l’Amérique du Nord, où il trouvait triomphante toute la liberté qu’il avait conçue.

Jusque-là le poëte n’avait redit dans ses chants que les souffrances et les privations de sa vie sans amour, sans liberté, sans gloire. Pour la première fois, il se sentait à l’aise sur le sol libre et paisible de New-York ; il y voyait son malheur secouru et ses vers accueillis.

Ce séjour sous un ciel plus tempéré, dans une société moins violente, devait lui inspirer d’autres chants. La nature surtout le frappa de ses merveilles. Il vit la cataracte du Niagara, cette pyramide vivante du désert, alors entourée de bois immenses. L’hymne où il la cé-