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ET LA PATIENCE.

Toutes ces précautions ne paroissoient pas encore suffisantes à la tendresse paternelle : mon pere voyant avec peine, qu’à l’imitation de ma mere, j’avois un goût infini pour la chair humaine, la pitié qu’il avoit de ses malheureux le joignit à la crainte que cette sorte de vie ne me devînt funeste, en avançant ma destinée, & l’obligea à m’instruire de mon sort. J’en frémis ; & le Magicien, se prévalant de ce moment de foiblesse, me fit jurer de renoncer à me nourrir de cette viande qui faisoit mes délices. En récompense, pour me donner un moyen de me garantir des embûches que l’on pourroit me dresser, il m’accorda le pouvoir de transformer en bêtes tous ceux qui viendroient dans ce Palais, exigeant le même sacrifice de la part de ma mere, qui, par tendresse pour moi, consentant à renoncer à ces mets délicieux, tomba dans un si grand dégoût de toute autre chair, qu’elle en mourut en peu de temps, & que mon pere ne lui survécut guere, étant mort du regret de sa perte ; car il l’aimoit toujours, malgré le défaut qu’il lui connoissoit.

Se voyant à l’extrémité, il me fit renouveller le serment de ne plus manger de chair humaine, & me renouvella aussi