Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/158

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Les enfants le contemplaient ; les mères leur parlaient bas, en l’indiquant.

L’énorme et belliqueux cuisinier interrompit son labeur et quitta son pilon. Une sorte de colère sacrée lui fit oublier ses devoirs. Il s’éloigna de la cuve et vint se pencher sur une embrasure de la muraille. Puis, rassemblant toutes ses forces et gonflant ses joues, le vétéran cracha vers le transfuge. Et le vent qui passait emporta, complice de cette sainte indignation, l’infâme écume sur le front du misérable.

Une acclamation retentit, approbatrice de cette énergique marque de courroux.

On était vengé.

Pensif, appuyé sur son bâton, le soldat regardait fixement l’entrée ouverte de la Ville.

Sur le signe d’un chef, la lourde porte roula entre lui et l’intérieur des murailles et vint s’enchâsser entre les deux montants de granit.

Alors, devant cette porte fermée qui le proscrivait pour toujours, le fuyard tomba en arrière, tout droit, étendu sur la montagne.

À l’instant même, avec le crépuscule et le pâlissement du soleil, les corbeaux, eux, se précipitèrent sur cet homme ; ils furent applaudis, cette fois, et leur voile meurtrier le déroba subitement aux outrages de la foule humaine.

Puis vint la rosée du soir qui détrempa la poussière autour de lui.

À l’aube, il ne resta de l’homme que des os dispersés.