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L’ANALYSE CHIMIQUE DU DERNIER SOUPIR

— (En France on prononce Bertrand, pour aller plus vite.)

C’est là le jeu ! — Pauvres petits !… — Ils s’exercent !… Ils préludent à ce moment (hélas ! auquel il devrait être si normal de s’habituer de bonne heure), où ils feront la chose pour de vrai. Ils usent ainsi, par une sorte de gymnastique morale, le trop poignant du chagrin futur qu’ils éprouveraient de la perte de leurs proches (n’étant cette factice accoutumance). Ils en émoussent, à l’avance, le crève-cœur final !

L’ingénieux du procédé consiste à recueillir, dans cet alambic de luxe, bon nombre d’avant-derniers souffles, pendant le sommeil de la Vie, pour pouvoir, un jour, en comparant les précipités, reconnaître en quoi s’en différencie le premier du sommeil de la Mort. Cet amusement n’est donc, au fond, qu’un fortifiant préventif, qui dépure, d’ores et déjà, de toutes prédispositions aux émotions trop douloureuses, les tempéraments si tendres de nos benjamins ! Elle les familiarise artificiellement avec les angoisses du jour de deuil, qui, alors, ne seront plus que connues, ressassées et insignifiantes.

Et comme, au réveil, on embrasse toutes ces chères têtes blondes ! — Avec quelle douce mélancolie ne presse-t-on pas contre son cœur ces gais espiègles !

Pourrions-nous, sans forfaire à notre mandat de philosophe, résister au devoir de le redire ?… Fût-ce à contre-cœur ? — C’est un joyau scientifique, — indispensable dans tout salon de bonne compagnie, — et