Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

silhouettes noires sur la route, le vent faisait remuer les haies. Au milieu des mille bruits de la nature et alternant avec le trot régulier des trois mecklembourgeois, on entendit, au loin, le hurlement de mauvais augure d’un chien égaré. Les chauves-souris voletaient autour de nos pâles voyageurs que le premier rayon de la lune éclaira tristement… Brrr !… On serrait maintenant les fusils entre les genoux avec un tremblement convulsif ; on s’assurait, sans bruit, de temps à autre, que la sacoche était dûment auprès de soi. On ne sonnait mot. Quelle angoisse pour les honnêtes gens !


Tout à coup, à la bifurcation de la route, ô terreur ! — des figures effrayantes et contractées apparurent ; des fusils reluisirent ; on entendit un piétinement de chevaux et un terrible Qui vive ! retentit dans les ténèbres car, en cet instant même, la lune glissait entre deux noirs nuages.

Un grand véhicule, bondé d’hommes armés, barrait la grand’route.

Qu’était-ce que ces hommes ? — Évidemment des malfaiteurs ! Des bandits ! — Évidemment !

Hélas ! non. C’était la troupe jumelle des bons bourgeois de Pibrac. C’étaient ceux de Pibrac ! — lesquels avaient eu, exactement, la même idée que ceux de Nayrac.

Retirés des affaires, les paisibles rentiers des deux villes se croisaient, tout bonnement, sur la route en rentrant chez eux.