Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/296

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La promenade, sous les branchages de l’une des plus désertes allées du Bois, fut silencieuse. Maryelle avait baissé son voile, craignant soit d’être vue, soit de me causer quelque gêne. La voiture, d’après son désir, allait au pas. Je ne remarquai rien d’autrement surprenant dans la tenue de notre énigmatique amie, sinon, toutefois, l’attention inusitée dont elle honora le coucher du soleil.

Le dîner fut maintenu sur un diapason tellement officiel, que, transporté en un repas de famille bourgeoise le jour de la fête du grand-père, il n’y eût choqué personne. Nous parlâmes, je m’en souviens, du… prochain Salon ! Elle était au fait, semblait s’intéresser. Bref, nous étions absurdes à plaisir : c’est si amusant de jouer au gandin ! Je préfère cela aux cartes.

Pour diversifier et l’attirer vers de plus riants domaines de l’Esprit, je me mis à lui détailler, au dessert, l’aventure de ce hobereau vindicatif, lequel ayant surpris — (qui ? je vous le donne en mille ?) — sa femme, figurez-vous ! en conversation légère, blessa, mortellement, le préféré : — puis, pendant que celui-ci rendait l’âme, et comme la jeune éplorée se penchait, en grand désespoir, sur l’agonisant, imagina (raffinement extrême !) de chatouiller dans l’ombre les pieds de l’épouse infidèle, afin de la forcer d’éclater d’un fou rire au nez expirant de l’élu de son cœur.

Cette anecdote, assaisonnée d’incidentes, ayant induit Maryelle à sourire, la glace fut rompue, —