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Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/136

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Edison, à ces derniers mots, releva la tête sous les lampes radieuses et, retirant brusquement son bras de la lourde manche poilue :

― Hein ? s’écria-t-il : ― oubliez-vous, mon cher lord, que je m’appelle l’Électricité et que c’est contre votre Pensée que je me bats ? C’est tout de suite qu’il faut parler. Déclarez-moi ces frivoles inquiétudes, ou j’ignorerai contre quoi je lutte ! Ce n’est déjà point si mince besogne de se prendre corps à corps avec un Idéal tel que le vôtre. Je vous le dis en vérité, Jacob, lui-même, y regarderait à deux fois dans les ténèbres. Voyons ! dites bien tout au médecin qui se propose d’atténuer votre tristesse.

― Oh ! ces idées ne portent désormais que… sur des riens, dit le jeune homme.

― Peste ! s’écria l’électricien, comme vous y allez ! ― que sur des riens ? Mais, un rien d’oublié, plus d’Idéal ! Rappelez-vous le propos de ce Français : « Si le nez de Cléopâtre eût été un peu plus court, toute la face de la terre en aurait changé. » ― Un rien ? ― Mais, de nos jours, même, à quoi tiennent les choses qui semblent les plus sérieuses du globe ? Avant-hier un royaume fut perdu pour un coup d’éventail donné ; hier, un empire, pour un coup de chapeau non rendu. Souffrez que j’estime les riens ― les néants ― à leur juste valeur. Le Néant ! mais c’est chose si utile que Dieu lui-même ne dédaigna pas d’y recourir pour en tirer le monde : et l’on s’en aperçoit assez tous les jours. Sans le Néant, Dieu déclare, implicitement, qu’il lui eût été presqu’impossible de créer le Devenir des choses. Nous ne sommes qu’un « n’étant plus » perpétuel.