Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/142

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puisse devenir l’abîme tristement contemplé aux vertiges duquel s’abandonneront mes derniers rêves.

― Oui : ce manoir est le milieu qui convient le mieux à l’Andréide, je le crois, dit gravement Edison. ― Vous le voyez : bien que peu rêveur de ma nature, je m’associe à l’audace de la vôtre, qui m’est, d’ailleurs, sacrée. ― Là, seulement, Hadaly sera comme une mystérieuse somnambule, errante autour des lacs ou sur les bruyères interdites. Dans ce donjon désert, où vos vieux serviteurs, vos livres, vos chasses, vos instruments de musique vous attendent, les êtres et les objets s’accoutumeront bien vite à la nouvelle advenue.

Le respect et le silence lui feront une insolite auréole, les serviteurs ayant reçu l’ordre de ne jamais lui adresser la parole, puisque, par exemple, ― (s’il est nécessaire de légitimer ceci), ― au fort d’un grand danger auquel vous l’auriez arrachée, cette solitaire compagne aurait fait vœu de ne répondre plus qu’à vous seul.

Là, son chant d’immortelle, en la voix qui vous est chère, accompagnée par l’orgue ou, pour peu que vous le préfériez, par quelque puissant piano d’Amérique, passera, dans la majesté des nuits d’automne, au milieu des plaintes du vent. Ses accents approfondiront le charme des crépuscules d’été, ― jailliront, dans la beauté de l’aurore, mêlés aux concerts des oiseaux. Une légende s’éveillera dans les plis de sa longue robe, lorsque, sur les herbes du parc, on l’aura vue passer, seule, aux rayons du soleil ou sous les clartés d’un ciel d’étoiles. ― Très-effrayant spectacle, dont nul ne